Compositeur, pianiste, auteur


O.P.A MIA

1987-1989
Opéra, pour orchestre de chambre (3 quintettes), choeurs, deux chanteurs et deux comédiens solistes.

Musique et texte: Denis Levaillant.
Direction musicale: Philippe Nahon.
Mise en scène: André Engel.
Décor et costumes: Enki Bilal.
Son: Marc Piéra.
Lumière: André Diot.

Avec:
Sunny Cash, Dieu de l'argent, baryton-basse: Vincent Le Texier
Sphinx, Déesse de la vérité, soprano lyrique: Claudine Le Coz
Lui, le golden-boy, acteur: Yann Collette
Elle, une speakerine, actrice: Irina Dalle
Et
Ars Nova - Musiques en Scène, Ensemble instrumental national du Poitou-Charentes et de la Rochelle.
Sur bande les choeurs de Radio France, direction Michel Tranchant
et les voix de Jany Gastaldi, Jerry di Giacomo, Anouk Grinberg, Michel Raskine, Robert Sireygeol.

Prise de son: Madeleine Sola assistée de Cyril Becue,
Traitements numériques réalisés à l'INA-GRM.


Analyse de l'oeuvre par Gérard Condé

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Un opéra peut-il ressembler à une O.P.A. ? Seulement dans la mesure où les mots de l'Amour évoquent parfois ceux de la Bourse : ne parle-t-on pas d'une faillite amoureuse, avec un être qui n'était pas une bonne affaire ? De gagner (ou de perdre) l'amour de quelqu'un ? D'avoir la cote ? Au point qu'un dîner d'amoureux se confond parfois avec un déjeuner de courtiers, ou l'inverse. Bref, les affects sont les affaires !

La langue de la Bourse est une langue d'initiés. Pour le lecteur profane des chroniques financières - et mieux encore pour l'auditeur de radio - le retour des mêmes termes, variés dans leur présentation, mêlés à des mots inconnus, confère à cette langue une valeur incantatoire et magique, d'autant que les chiffres, aux implications mystérieuses, rappellent la dimension sacrée de la numération. Sachant que depuis pas mal d'années déjà l'argent, par diverses manipulations compliquées, tend à devenir une fiction pour les financiers eux-mêmes, et qu'il en circule beaucoup plus sur les comptes que n'en produisent les banques centrales de tous les Etats du monde, sa valeur devient aussi chimérique que celle de la gloire à l'époque où, dans les opéras baroques, on l'opposait à l'amour; en sorte qu'on ne s'étonnera pas de voir, dans O.P.A. Mia, l'argent et l'amour s'affronter.
Denis Levaillant, qui est sans doute l'un des rares compositeurs capable d'expliquer en deux mots ce que représente un swap, avoue une curiosité fervente pour la chronique des opérations financières, mais c'est néanmoins aux amants "les vrais initiés" qu'il dédie secrètement son opéra, pas aux banquiers.
Le rapprochement avec l'opéra baroque, tenté a propos des données du sujet, n'est pas aussi hardi qu'il y paraît, dans la mesure où, de toute évidence, Denis Levaillant y a trouvé une source d'inspiration plus féconde que dans ce qu'on pourrait appeler les avatars du drame wagnérien où l'action et le récitatif continu prennent le pas sur la suspension du temps et la vocalité. En aucun cas cependant il ne s'agit d'une attitude nostalgique ou passéiste, mais de la simple constatation qu'en matière d'opéra l'action est nécessaire sans être suffisante, et que le chant ne doit pas se limiter à l'énonciation syllabique des phrases utiles à la compréhension du drame. L'une des forces de l'opéra, par rapport au théâtre, est principalement de pouvoir étirer valablement le temps dramatique, ce qui permet de donner à quelques mots répétés à plaisir une valeur emblématique et d'unir les personnages par leurs voix, indépendamment de leurs corps, dans les duos et les ensembles.
En choisissant des voix "longues" (dont l'ambitus couvre deux octaves), de soprano lyrique et de baryton-basse, le compositeur s'engageait d'emblée à les mener dans tous les registres :

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A ces personnages chantants - Sunny Cash, dieu de l'argent, et Sphinx, déesse de la vérité - correspondent deux personnages parlants, deux humains : un golden boy et une speakerine (qui ne sont pas leurs doubles, plutôt leur incarnation imparfaite), dont les dialogues (ou monologues) tiennent la place des récitatifs dans l'opéra baroque. La parole (comme le récitatif) a l'avantage d'être plus directement compréhensible et de permettre un débit plus rapide; en revanche, son prosaïsme relatif, dans un contexte d'opéra, semble la destiner à l'expression de passions moins élevées. Mettre à profit les qualités de la parole sans être prisonnier de son lyrisme limité, tel a été le souci de Denis Levaillant quand il a choisi de traiter en musique la plupart des dialogues parlés. C'est le principe du mélodrame, tel que l'a défini et expérimenté Jean-Jacques Rousseau et surtout Georg Benda (1722-1795) dont les ouvrages impressionnèrent si vivement Mozart qu'il s'en inspira pour Zaïde. Dans quelle mesure le fond musical, plus ou moins neutre ou actif, souligne les paroles qui s'y superposent ou les contredit implicitement, c'est ce que le compositeur détermine avec plus d'efficacité que dans le récitatif.
Généralement c'est l'orchestre qui tisse la toile de fond des mélodrames; ici c'est parfois le choeur chanté ou le choeur parlé; parfois aussi le silence, qui joue pleinement son rôle musical. Il va sans dire que le procédé est mis en oeuvre d'une façon chaque fois un peu différente, selon le principe de variation continue qui régit l'ouvrage tout entier. Vers la fin, deux duos entre Sunny et Lui, puis entre Sphinx et Elle, associent étroitement le chant et la parole. Dans quelques passages le rythme de la déclamation est noté très précisément, soit que le chef d'orchestre doive veiller à suivre le débit de la parole :

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soit que l'acteur scande son texte comme dans l'Histoire du soldat :

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Le choeur chanté n'est pas un personnage à part entière comme les autres. Il se fait l'écho, il réfléchit, il ponctue, il balise le temps à la manière du choeur dans les Passions de Bach, sinon du choeur de la tragédie grecque. L'écriture, à douze voix réelles, est très dense (densité accrue par le fréquent recours aux quarts de tons), ce qui produit des effets de masse avec un effectif relativement modeste. Le choeur parlé, confiné dans la restitution d'atmosphères "réalistes" (corbeille de la Bourse, journal parlé) fait l'objet d'un traitement électroacoustique qui le musicalise, l'un et l'autre sont préenregistrés.
L'orchestre constitue un troisième choeur, dans la mesure où il accompagne les voix, les amplifie ou les soutient par des doublures fugitives, souligne le sens de certains mots par une couleur, une pulsation rythmique, ou y oppose un démenti explicite en exprimant sensiblement l'inverse de ce qui se chante ou se dit. En outre, il prélude et ponctue: d'abord par une Ouverture (qui campe le "bruit de la ville") puis par cinq interludes, intitulés Passages (et une transition : L'entre-deux) qui, mis bout à bout, pourraient constituer une sorte de synthèse symphonique de l'opéra mais, à la représentation, jouent autant comme des intermèdes que comme des résumés ou des prémonitions.
Peu à peu, deux instruments solistes - la clarinette et le violoncelle, plus ou moins associés aux personnages féminin et masculin - prennent un relief plus sensible tandis que l'orchestre disparaît progressivement (comme le bruit de la ville qui s'éteindrait), la conclusion étant laissée au choeur seul, comme dans L'Enfance du Christ. La composition de l'orchestre a ceci de particulier qu'elle associe trois quintettes : un quintette d'anches : hautbois (ou cor anglais), deux clarinettes (la seconde joue aussi la clarinette basse), basson (ou contrebasson), saxophone ténor (ou soprano); un quintette de cuivres : cor, deux trompettes (la seconde joue aussi le bugle), deux trombones; un quintette à cordes : deux violons, alto, violoncelle et contrebasse. Sont exclus la flûte, le tuba et les percussions au profit de trois ensembles plus homogènes dont la couleur propre et les associations possibles correspondent à cette sonorité spécifique, passablement tendue et vibrante voulue par le compositeur, ce qui n'exclut ni la tendresse ni le raffinement.
En simplifiant les choses à l'extrême, on pourrait dire que l'écriture orchestrale fait alterner des contrepoints fluides, en perpétuel mouvement :

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et des séquences homorythmiques, comme des chorals, où une même pulsation régit toutes les parties instrumentales; un exemple caractéristique est le motif de danse fatale qui revient tout au long de l'ouvrage, reconnaissable à ses accents irréguliers plus qu'à ses notes :

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La synthèse entre contrepoint (horizontal) et harmonie (verticale) se réalise dans les passages où, sans qu'on puisse élucider les piliers harmoniques, on a le sentiment assez net que les diverses lignes instrumentales forment des broderies autour des notes principales sous-jacentes. Parfois il n'y a qu'une note mère : un son très grave, par exemple, dont on n'entend seulement que le jeu des harmoniques lointaines (jusqu'à la vingt-troisième) resserrées sur cinq ou six octaves, que les instruments déroulent en arpèges. On est loin alors des consonances des premiers harmoniques (sol-si-ré-fa-la par exemple, que l'oreille perçoit facilement et qui forment l'accord sur lequel Stockhausen a bâti Stimmung) et il entre maints quarts de tons dans l'échelle de ces harmoniques mais, d'une certaine façon, on reste dans le domaine de la résonance naturelle quoiqu'il n'y paraisse guère.
Cela dit, on rencontre dans le cours de l'oeuvre des harmonies "classées" qui s'intègrent parfaitement au langage atonal de l'ensemble, soit qu'elles passent très vite et que leur consonance contribue à la sonorité, soit qu'elles soient utilisées pour leur pouvoir expressif ou, plus simplement, pour enrichir la palette harmonique, facilitant l'intégration, ici ou là, de fugaces clins d'oeil à la tonalité (ainsi la chanson Les chevaliers d'antan).
Jusqu'à présent il n'a guère été question de ce qui constitue la chair même de l'opéra : les airs et les duos. C'est qu'ils en sont, structurellement, la clef de voûte et forment donc le sommet de l'édifice. Un air, on le sait, se distingue d'un récitatif par la présence plus ou moins remarquable d'éléments répétés. La répétition, dans la musique savante, étant génératrice de variations, il s'ensuit que la répétition et la variation entrent à parts égales dans la composition d'un air. Dans l'opera seria, la succession d'airs construits sur un modèle presque immuable (aria da capo), mais dotés, chacun, d'un caractère particulier découlant de situations aussi précises que stéréotypées, obéissait globalement à ce double principe: répétition / variation.
Denis Levaillant a repris et affiné ce procédé en faisant en sorte que, dans son opéra, tout, ou presque, soit à la fois reprise et variation. Ainsi le deuxième air de Sunny Cash : "Le cours ? La cote ? Le taux ? " apparaît comme une amplification du premier, tandis que son troisième ("J'ai tout perdu") est un décalque évident des précédents. En commun à ces trois airs, entre autres choses, l'exclamation qui se voudrait rassurante: "My name is" ("mon nom es"), exclamation qui s'était glissée entre-temps dans le duo avec Sphinx sous la question de Sunny: "qui es-tu ?"; de même que Sphinx, dans son premier air, avait repris certaines paroles de l'air d'entrée de Sunny ("Le sang de l'argent"). Cet air de Sphinx ("J'étais suspendue") sera beaucoup plus tard traité en duo.
Ce ne sont là que des exemples, choisis parmi les plus repérables, pour donner une idée de la manière interne dont sont reliés entre eux les trente-six numéros successifs de la partition, qui se répondent les uns les autres et se complètent au fur et à mesure du déroulement. A l'audition il est sans doute profitable de pouvoir se rendre attentif à ces échos plus ou moins explicites, mais en aucun cas il ne s'agit d'un parcours fléché et il est plus important de sentir intuitivement ces choses-là que d'en étudier l'inventaire. Car ce n'est pas tant le souci abstrait de la forme musicale pour elle-même qui a guidé Denis Levaillant dans cette voie, que celui de l'efficacité musico-dramatique. De même qu'il ne faut pas chercher ailleurs que dans un dessein de caractérisation des personnages, la différence d'écriture vocale qui sépare le rôle de Sunny Cash et celui de Sphinx. A l'un, des intervalles larges et volontaires :

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A l'autre, les glissements insaisissables par quarts de tons :

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Si tous deux vocalisent néanmoins, c'est que Sunny Cash n'est pas seulement ce qu'il voudrait paraître; sans cela pourrait-il y avoir ce renversement qui est le ressort même de l'oeuvre ? Derrière l'assurance de façade, ces mots répétés (Lui en abuse de façon plus nette encore), il y a cette faille dans laquelle s'introduisent les interrogations révélatrices de Sphinx.
(...)

Tout opéra est un pari et, en quelque sorte, une O.P.A.

Gérard CONDÉ


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Enki Bilal décorateur

Le moment le plus fort de ma collaboration avec Enki BILAL pour O.P.A. Mia restera certainement ce jour où, le décor enfin monté entièrement (au théâtre de Gennevilliers), la diffusion du son un peu "dégrossie", nous avons entendu le premier effet, le premier mixage de voix chantées dans le volume.

Alors, nous avons vu que nous ne nous étions pas trompés, qu'entre son univers et le mien, il y avait une profonde connection. La musique avait trouvé son image, ce réel transformé, anticipateur, que je cherchais.

Quand j'ai diffusé Speakers à Radio-France, un de mes collègues m'a dit que cela lui faisait penser à la B.D. "Attention, hein, ce n'est pas une critique, la bonne B.D., entendons-nous !" La manière dont les intellectuels d'aujourd'hui abordent la bande dessinée ressemble un peu à celle des lettrés du XVIIe siècle accueillant le roman, alors naissant : un respect légèrement dédaigneux pour "quelque chose" qui n'est pas encore un art répertorié. C'est vrai que la B.D. va de la fanzine insipide au travail graphique admirable de quelques-uns, dont Bilal. Mais est-ce que la musique ne va pas, elle aussi, aujourd'hui, de la petite soupe fabriquée à la maison sur le synthé à tout faire à l'art d'artisan introspectif encore requis pour composer ? Et ne retrouve-t-on pas chez ces mêmes intellectuels, le même soupçon d'authenticité vis-à-vis de genres musicaux considérés, aujourd'hui, comme "mineurs" -je pense essentiellement à la musique associée à l'image, art nouveau d'aujourd'hui dévoyé par les marchands sous le vocable "musique de film" -?

Ce que crée Enki était encore, il n'y a pas si longtemps, dénommé "illustration". L'exemple de notre travail sur O.P.A Mia s'inscrit en faux contre cette catégorie. Mes personnages existaient ; les rôles étaient écrits ; la musique copiée - manquait pourtant une caractérisation dramatique. Je peux dire que Sunny Cash, dieu de l'argent, et Sphinx, déesse de la vérité, ne sont nés que le jour où Enki a donné son accord pour fabriquer "l'image" de mon opéra : sa vision des dieux perdus dans l'underground urbain de La Femme piège a précipité la mienne. Dans ce cas, qui illustre quoi ? Enki n'est pas non plus un décorateur. On ne travaille pas avec lui en discutant inlassablement dramaturgie, on ne remet pas cent fois le projet sur le métier. Il se rapproche, par sensibilité. C'est un Chat, qui ne fait pas beaucoup de ruffs. A travers O.P.A. Mia, il a continué son travail. Comme un peintre.

Depuis quinze ans que je donne ma musique en spectacle, j'ai réalisé nombre d'oeuvres en collaboration. La fonctionnalité la plus efficace a toujours été le fruit de rencontres où chacun restait maître de son univers. Pourtant, l'habitude voudrait que, se mettant au service d'un objet commun, l'art se dévoie.

Je fais le pari que la distance dont je parle plus haut, et qui touche à l'idée de fonction de l'art, tombera un jour d'elle-même

Je fais même le pari qu'au siècle prochain, l'idée d'un art qui ne serve à rien d'autre qu'à lui-même fera bien rigoler nos petits-enfants : le design, la musique-image, le graphisme narratif (plutôt que B.D.?) domineront le marché. D'ici-là, je suis bien décidé à continuer à explorer ma polyvalence (la musique comme un art du spectacle), qui me permet de rencontrer d'autres polyvalents, comme Enki (qui lui a plutôt tendance à "décliner", comme il dit, son travail sur de nombreux supports). Je le remercie d'avoir fait un bout de route avec moi - reviennent ici ces images qui charpentent une rencontre, l'attirance d'Enki pour mes partitions d'orchestre ("je suis jaloux de ce format"), son attention constante à toute l'équipe de réalisation du spectacle, sa précision sur les teintes pendant le réglage des lumières, sa présence solide face aux médias en Avignon - et d'avoir accepté de mettre son graphisme en volume, pour la première fois, sur un plateau de théâtre, pour qu'on y chante ma musique.


Denis Levaillant

20.09.1991


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Entretien avec le cinéaste Alain Corneau

O.P.A Mia, l'opéra de Denis Levaillant mis en scène par André Engel dans des décors et costumes de Enki Bilal a été créé cet été en Avignon. Diversement accueilli par la presse, bien reçu par le public.
Dans la présentation qu'en avait faite Denise Luccioni dans notre précédent numéro, elle disait entre autre " Il est vraisemblable qu'Engel et Bilal, marqués par une sorte d'hyperréalisme chaud, tirent O.P.A Mia pour le meilleur vers un cinéma en chair et en os".
Il nous a paru intéressant d'avoir l'opinion d'un cinéaste. Alain Corneau était dans la salle, il a accepté de nous en parler à bâtons rompus.

Alain Corneau. J'ai deux réactions en voyant O.P.A Mia.
La première, d'émotion devant un spectacle pur, en me disant que c'était une des premières fois que je voyais mené courageusement une espèce d'affrontement non solennel entre ce que l'on appelle le théâtre parlé et la musique. La division très simple entre les dieux qui chantent et les hommes qui parlent m'a paru une très bonne idée. D'ailleurs Engel l'a très bien mis en scène, et à partir de ce moment là j'ai ressenti une émotion, oui, une émotion très personnelle sur cet espèce d'affrontement très simple et qui nous habite tous entre la réalité et le lyrisme.
Ça, à mon avis ça a été mené à bien, ça a rarement été fait, il n'y a jamais eu cet espèce de courage à affronter en même temps des acteurs et des chanteurs. A les placer sur deux niveaux différents mais avec passage de l'un vers l'autre. Dans ce sens là je pense que le décor d'Enki est très fort, parce qu'il fait en même temps très bande dessinée, très lyrique et en même temps hyperréaliste - participe bien de e combat qui est une chose éternelle dans les spectacles en occident, qui dans d'autres civilisation a été mené à bien de manière plus traditionnelle mais chez nous est toujours en question.
Voilà, ça c'est une chose qui m'a bien intéressé, que j'ai trouvé menée honnêtement et sincèrement et qui je pense est dans le livret.

- Qu'avez-vous pensé du livret ?

Le livret, la qualité même du livret, je n'en ai pas grand chose à en dire, d'abord parce que je ne suis pas critique, et puis à partir du moment où on bouche sur ces paroles je n'ai pas à porte de jugement littéraire ou intellectuel. Pour moi un livret d'opéra n'est pas quelque chose qu'on peut détacher de l'ensemble. Comme le scénario d'un film n'est pas critiquable en tant que tel.

- Et votre seconde réaction ?

Ma seconde réaction - ce qui m'a permis de m'amuser en plus d'une certaine émotion, - c'est que j'ai une passion, qui est l'opéra baroque, et que j'ai retrouvé là, réinstallé sur scène, tout le jeu de miroirs, de correspondances, de faux semblants, de ressemblances, de jeu avec la réalité, de jeux avec les clichés...qui m'amuse énormément dans l'opéra baroque français classique traditionnel - Rameau et compagnie.
Vous m'interrogiez sur la qualité du livret de Levaillant. Mais qui oserait critiquer un livret de Rameau ?
La vraie question était : est-ce que ce texte porte la musique, est-ce que ce texte porte la musique, est-ce que la musique porte le texte, et est-ce que l'impression d'illusion dans le sens baroque, est menée à bien ? Eh bien moi, dans O.P.A Mia, j'ai vu une espèce de tentation baroque qui m'a amusé. Elle doit venir de Levaillant, qui n'est pas dans la lignée des institutionnels sériels (qui sont pour moi une véritable épouvante, qui forment une secte) ce qui fait qu'il retrouve une idée de spectacle un peu original. Il met en jeu des données très contemporaines, très connues, qui sont des clichés de notre vie "journalistique". Il en fait un combat entres les hommes et les dieux, et c'est vrai que la musique baroque et l'opéra baroque français, -français, je dis bien français,- étaient obsédés par ce dualisme.
Une chose qu'on retrouve aussi dans O.P.A Mia, c'est qu'il n'y a pas d'arias, il n'y a que des récitatifs. Ça m'intéresse beaucoup, parce que la querelle aria-récitatif a été l'origine d'un divorce, et d'un arrêt de la musique lyrique française de l'époque. Même Rousseau disait que c'était une musique de barbare, qu'il fallait l'harmonie, qu'il fallait des arias, qu'il fallait des airs comme le italiens et les allemands. Et Rameau s'est épuisé à dire qu'il y avait une autre façon de faire de la musique, qui était le récitatif, qui était de mettre chaque mot en musique, qui n'était pas forcément la mélodie. Dans O.P.A Mia j'ai retrouvé ces mêmes problématiques, il y a à peu près les mêmes questionnements, et je pense que le côté marginal de Denis Levaillant lui permet de voir les choses de manière plus saine, dans la tradition et dans une certaine modernité de la tradition.
Je pense que la modernité aujourd'hui c'est le retour à cette musique.

- Qu'avez vous pensé de la partie électro-acoustique ? De l'idée d'installer des hauts parleurs répartis dans out le décor et même dans la salle pour diffuser les bandes magnétiques, choeurs mixés, bruits de la ville ?

Cette espèce d'accumulation joue, et joue très bien. Je crois que Levaillant a eu raison d'utiliser le maximum d'éléments. Cette musique électroacoustique apporte aux choeurs qui ne sont pas conçus comme des choeurs d'opéra traditionnel leur... supplément d'angoisse. Je pense que c'était plus ou moins le but. Là, c'est vrai, ça collait bien. Ça collait bien à Bilal. Il y a plusieurs moments où on se croyait dans une bande dessinée, ce qui n'est pas rien. Ça fait trop longtemps que trop de metteurs en scène sont influencés par le cinéma et moins par d'autres formes qui sont la peinture, la bande dessinée, les formes picturales d'aujourd'hui. Là, certains moments étaient très proches des dessins d'Enki, pas simplement les choeurs, le positionnement de la robe rouge, l'éclairage tout à fait étonnant... On a échappé aux fumées, moi j'en aurais mis, et j'aurais eu tort. Je pense qu'André Engel a eu un mini coup de génie de l'éviter, ça a donné une noblesse au spectacle.

Voilà, c'est un spectacle qui casse un peu les moules, qui ne se réfère pas à une école, à une famille, qui est un peu orphelin et donc un peu plus libre.

Je suis bon public. Quand je m'amuse, je m'intéresse et alors je suis content.

Propos recueillis par Laurence Guérin.

© 2017 Denis Levaillant - Contact : Tom Guillouard